Le texte qui suit est tiré de La Minute papillon de Gaspard Amée, chronique diffusée une à deux fois par mois sur les ondes d'ICI Première (Radio-Canada), à l'émission « Culture et confiture » animée par Mireille Langlois.

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La main

Il y a quelques années, dans une autre vie, 
j’ai eu la chance de m’intéresser à la main. 

À l’époque,
je supervisais un dossier journalistique
sur la main bionique,
un nouveau type de prothèse relié au cerveau.

Le chirurgien avec lequel j’étais en lien,
qui tenait la barre d’un hôpital-paquebot
(tout en continuant d’opérer),
m’avait confié :

« Contrairement à ce que les gens croient, la chirurgie n’est pas une affaire de mains. L’opération est un geste intellectuel. J’ai la chance d’avoir un peu les yeux au bout des doigts et je ne m’occupe jamais de mes mains. »

J’en avais été soufflé!

Car s’il y avait bien des mains qui me semblaient impossibles à oublier, c’étaient celles d’un chirurgien, tenant le bistouri…

Mais quelle merveille, me direz-vous :
cet organe préhensile que l’on nomme la main
fonctionne si bien qu’on pourrait presque l’ignorer.

Le chirurgien dont je vous parle,
spécialiste de l’appareil locomoteur,
et par ailleurs grand lecteur,
m’avait ouvert les yeux :

nos mains mènent une danse silencieuse,
une chorégraphie magistrale
dont la complexité nous échappe
– le plus souvent.

À part dans certains métiers que l’on dit « manuels »,
où elles se trouvent au centre des occupations,
nos mains sont tellement
discrètement affairées,
toujours prêtes à servir,
qu’elles nous semblent parfois acquises. 

On ne prend pas suffisamment le temps de les contempler
avec toute la mansuétude qu’elles mériteraient.

Pour saisir ce livre
qui vous fait peut-être du pied,
figurez-vous que vos mains
coordonneront miraculeusement
pas moins de 36 muscles et 27 os articulés.

*

Aujourd’hui, si je m’autorise avec vous ce méandre par la main,
c’est parce qu’au creux de la mienne,
j’ai découvert une tache. 

Pas de naissance, non…

Un petit grain tigré apparu juste là,
sous l’annulaire, qui semble épouser mes lignes –
un peu trop vite, sans doute.

En l’observant,
ces dernières semaines,
j’ai pensé à une étoile minuscule
qui filerait tranquillement sa toile. 

Un maudit poème
dans ma paume.

*

Personne ne voulait « prendre de chance »,
comme on dit.

Alors ma tache a été arrachée à son lit,
prélevée à l’emporte-pièce (c’est le terme exact!),
puis envoyée au labo.

Pendant que ma main se recoud,
j’y pense beaucoup.

Car, dans les mots de Verlaine :

(…) Les mains ont leur caractère,
C'est tout un monde en mouvement
Où le pouce et l'auriculaire
Donnent les pôles de l'aimant.

Les météores de la tête
Comme les tempêtes du cœur,
Tout s'y répète et s'y reflète
Par un don logique et vainqueur.

Vous l’avez sans doute entendu:

phonétiquement, le mot « humain » la contient.

Tout comme le mot « demain ». 

On se la tend, on se la demande, on se la tient…

Plus de 80 expressions de notre langue
se servent de la main!

Le poète Michel Van Schendel l’écrit avec une juste délicatesse,
imaginant un jardinier s’adressant à elles :

(…) Il contempla la toile de ses mains,
Il regarda le buis, l’érable, il vit l’aubier,
Il vit la feuille et la ligne des feuilles,
Il regarda le ciel, il regarda le sol,
Il contempla la soie de ses mains,
Il vit que la soie était celle du jardin.

Pensant à ma main qui se remet
(même si elle ne sera plus tout à fait la même),
je vous laisse sur ces simples paroles,
que chantonnaient peut-être
les écoliers de l’insouciance yéyé : :

🎶 Donne-moi ta main
Et prends la mienne…

***

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[Sont cités le Professeur Pierre-François Leyvraz, ancien directeur du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), un fragment du poème « Mains » de Paul Verlaine, paru en 1889 dans le recueil Parallèlement, puis un extrait du poème « Un jardinier disait à ses mains » de Michel Van Schendel, paru en 2005 dans Mille pas dans le jardin font aussi le tour du monde, et enfin les paroles d’ouverture de la chanson « L’école est finie » interprétée par Sheila, écrites en 1963 par Jacques Hourdeaux et André Salvet.]