Le texte qui suit est tiré de La Minute papillon de Gaspard Amée, chronique diffusée une à deux fois par mois sur les ondes d'ICI Première (Radio-Canada), à l'émission « Culture et confiture » animée par Mireille Langlois.

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La pluie

J’entends sur le feuillage
L’eau qui tombe à grand bruit
Voici, voici l’orage
Voilà l’éclair qui luit

La pluie, la flotte.
Le parapluie, les bottes.

Vous ne trouvez pas que le mot pluie
semble inviter naturellement
le mot
pleurs?

Il pleut, il pleure…
La douche froide.

L’averse.

Comme si forcément, la précipitation
devait nous précipiter
dans la tristesse.

Le ciel nous tombe sur la tête,
il tombe des trombes…

C’est comme si,
lorsque la météo vidait son sac,
il fallait que nous nous enfoncions un peu sous terre,
avec déjà presque un pied
dans le sale mot en « t ».

Mais ce n’est pas juste.
Après tout, ce ne sont que des gouttes.

Et si elles tombent,
ce n’est pas tout à fait
de leur plein gré,

comme le dit si joliment Jean Sioui :

La pluie cogne contre ma vitre
une goutte de pluie plus fine que les autres me tire la langue

je sors la cueillir sur le bout d’un doigt
elle s’accroche et me raconte

je viens de très haut derrière un vol d’outardes

j’ai vu

chasseurs bûcherons mineurs
enfants qui cherchaient leur cachette
je supplie ton cœur de me ramener au fleuve
d’en bas je veux regarder le ciel

je cours secouer ma main au-dessus du fleuve

*

Oui, la pluie vient de loin.

Du fleuve, du nuage, du voyage?

Certains la voient comme « vache qui pisse »,
mais franchement,
où est la justice?

Rien ne justifie cette réputation de pleureuse.

Sauf peut-être quelques poètes maudits…

Encore que Verlaine dit aussi :

Pour un cœur qui s’ennuie
Ô le chant de la pluie!

Personnellement, je crois qu’il faut chercher du côté de Yang Wan-li,
dans une sorte d’illumination qui l’aurait même fait quitter sa carrière
de fonctionnaire pour la poésie :

La pluie est cinglante. Au milieu de la nuit, “xiao xiao!”, le son froid
commence. Sur une bassine en cristal sautillent dix mille perles. Le
son clair de chaque goutte pénètre jusqu’à l’os. Sortant du rêve, je
gratte ma tête et me lève pour écouter. J’écoute, j’écoute, jusqu’à
l’aube. Toute ma vie, j’ai écouté la pluie, et maintenant, ma tête est
blanche. Pourtant, je n’avais pas encore compris le son de la pluie,
la nuit, sur la rivière printanière!

Vous saisissez? Ou c’est encore un peu brumeux?

Et si, en fait, pour changer d’avis sur la pluie,
il suffisait de se mettre un instant dans la peau
d’un bananier?

Que le bananier a de joie à recevoir la pluie!
Le bruit, toute la nuit, en fut clair et plaisant :
Tantôt sons menus d’une mouche heurtant une vitre de papier,
Tantôt fracas puissant de cascade dévalant les montagnes.
Au tintement limpide des gouttes espacées,
Toute autre rumeur s’est tue en ce calme soir d’automne.

Le bananier est heureux, mais l’homme s’attriste…

*

Citoyens et citoyennes du nord et de l’ouest,
je vous propose un manifeste :

que jamais plus nos mines ne s’affaissent
à la moindre averse.

Convoquons Maurice Carême :

Petite pluie que j’aime
Petite pluie d’amour

Convoquons même Orelsan et Stromae,
pour signer l’hymne :

Toujours autant’d pluie chez moi
Mais il fait quand-même beau, il fait beau
Chez moi, il fait beau

Amis de « Raincouver » et d’ailleurs,

si la vie est grise,
la pluie est belle.

***

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[Cette chronique s’ouvre sur un extrait des paroles de la chanson Il pleut, il pleut bergère, écrites en 1780 par Fabre d’Églantine, et se termine avec un extrait des paroles de la chanson La pluie, signées Orelsan et Stromae en 2018. L'extrait de poésie de Jean Sioui est tiré du recueil Avant le gel des visages, paru en 2012. Celui de Paul Verlaine est tiré de Romances sans paroles, paru en 1874, et celui de Maurice Carême est tiré du recueil À l’ami Carême, paru en 1987. Enfin, les deux extraits de Yang Wan-li sont tirés respectivement du poème « À Guang-kou, pluie nocturne » et de l’Anthologie de la poésie chinoise classique, parue en 1962.]