Le texte qui suit est tiré de la Minute papillon de Gaspard Amée, chronique diffusée un samedi par mois sur les ondes d'ICI Première (Radio-Canada), à l'émission « Culture et confiture » animée par Mireille Langlois.
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La souche
Bonjour!
Je me présente :
Gaspard,
bientôt la quarantaine,
Vancouvérois de source.
Mais ne me dites pas « de souche »!
Car si, comme vous,
j’ai peut-être développé ici mes plus belles pousses,
l’expression m’asticote.
Il me semble qu’il y a là,
derrière cette idée d’enracinement figé,
quelque chose de louche.
En avez-vous croisé, des membres de cette espèce rarissime
que seraient les Canadiens… de souche?
Vous a-t-on déjà rangé dans la catégorie :
de souche africaine,
asiatique,
européenne?
Voire… de souches mêlées
(pour le clin d'œil aux Potteriens)?
*
Je ne sais pas ce que vous en pensez.
Mais il me semble que cette expression
revient surtout chez les uns,
pour désigner ce que seraient les autres.
En langage réducteur,
il y aurait des « de souche »
et des « hors sol ».
Et tout ce beau monde — si je comprends bien — aurait du mal à se comprendre.
L’apprenti sorcier IA me chuchote ceci :
le mot « souche » vient d’un mot latin signifiant suc, sève.
Puis, par glissement, il a désigné la base de l’arbre : ce qui reste après la coupe.
La souche est un reliquat… vivant.
Le mot « source », quant à lui, viendrait du verbe latin signifiant surgir.
Il désigne ce qui jaillit du sol.
Symboliquement, la souche serait donc un reste…
et la source, un départ.
C’est la vie :
qui joue avec les mots
se coltine forcément les racines.
Alors, autant défricher.
Peut-être comme Javier Vargas de Luna,
originaire du Mexique, établi au Québec :
Garder silence sur les trottoirs d’un
autre assaut,
encourager la bousculade d’un
bâillement,
réfuter la vérité d’un évangile,
regarder la nuit à contresens
et du coup, inventer le mot
déracinement.
*
L’avez-vous observé, en vous promenant ?
Ici, en Colombie-Britannique — par quelle magie —,
les souches ne sont pas tombes.
Elles n’enferment nullement.
Au contraire :
plantées là comme mortes,
elles contiennent des autres.
C’est une spécificité de nos forêts humides :
nos souches sont nurse logs, ou nourricières.
Elles ont le silence de leur âge,
et pourtant,
de la vie en réserve.
D’elles, jaillissent… des arbrisseaux.
Mais alors —si la souche fait terreau —,
se pourrait-il qu’elle nous invite, secrètement,
à emmêler nos pinceaux ?
À foisonner ?
Dans ce sous-bois,
nos métissages,
nos entremêlements,
trouveraient-ils… berceau ?
Serait-ce un joli tour du Pacifique ?
Le trait d’union fertile
entre ces mots — souche et source —
qui nous tournent dans la bouche ?
*
« De souche… » :
dans le fond, je crois que je rêve de
déraciner l’expression.
De l’arracher à ses tenants.
Pour mieux la replanter ici,
à l’ouest.
Avec ces quelques mots du même de Luna :
Seulement pour déranger,
laisser dans l’heure une traînée de racines qui
incommode.
***
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Tous droits réservés.
[Les deux fragments cités dans cette chronique sont extraits du poème Café DU RETOUR numéro 3 de Javier Vargas de Luna, paru en 2014 dans le recueil Sans Anna et sans sucre/Sin Anna y sin azúcar.]