Le texte qui suit est tiré de La Minute papillon de Gaspard Amée, chronique diffusée une à deux fois par mois sur les ondes d'ICI Première (Radio-Canada), à l'émission « Culture et confiture » animée par Mireille Langlois.
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Le vent
D’où je viens, sur les hauteurs du lac de Neuchâtel, en Suisse,
il existe un cirque rocheux impressionnant,
dont le nom semble vouloir cueillir l’oreille d’emblée :
le Creux du Van.
Ici, le vent se passe de “t”.
Le vent de ce creux-là, dans mon Jura,
s’écrit comme le pan de la flûte…
comme le Peter du Petit Oiseau Blanc…
ou comme le Van du mot Vancouver.
C’est un vent ouvert.
La lettre “e” s’est vue soufflée par un “a”,
comme pour marquer les origines.
Pris de vertige
au bord du vide contenu par cette falaise en fer à cheval,
on se dit que le Creux du Van pourrait bien être sa tanière.
Le repère d’un foehn, d’une bise, ou d’un Joran –
trois vents bien connus là-bas.
*
Au Canada,
les chinooks, cousins du foehn,
descendent des Rocheuses vers les Prairies de l’Ouest.
Peut-être croisent-ils en chemin
le Noroît,
le Suroît,
les vents de Wreckhouse, à Terre-Neuve,
ou ceux de Suête, au Cap Breton?
Dans ce pays ,
le vent décide où tombent les nids ,
écrit Alexandre Amprimoz.
Et moi, j’aurais pu vous demander :
quel vent vous amène?
Le vent, lui,
est loin d’être toujours aussi poli.
Qui sème le vent… vous connaissez la suite.
Mais qu’a-t-il dans le ventre, ce vent de révolte?
Ce vent qui déracine, ce vent qui hurle?
Serait-il :
ce vide
qui cherche quelque chose à étreindre…
et qui ne la trouve pas…
et qui souffle… et qui souffle…
dans la furie d’un désespoir?
comme l’écrit François-Xavier Eygun,
au Manitoba?
Ou bien une sorte de trophée arraché,
comme l’imagine Michel Dachy, en Alberta :
Ces hautes branches emmêlées
se disputent la liberté du ciel
et s’octroient la voix du vent.
À moins que le grand ébouriffant,
le tournoyant,
joue de son mystère…
Un ancien imite le vent.
Il m’a envoûtée,
confie ainsi Joséphine Bacon.
*
Invisible,
indomptable,
le vent
nous échappe.
C’est dans sa nature :
nul ne le fige ou ne le cerne totalement.
Pourtant,
Il y a quelqu’un / Dans le vent ,
murmure le poète breton Eugène Guillevic.
Après tout,
le vent se lève, le vent tourne…
Comme s’il était habité.
Dans la mythologie iroquoise, son esprit se nomme Gaoh.
Géant céleste qui incarne la force du souffle,
il gouverne quatre vents.
Tantôt cannibale, capable de lancer une tempête à nos trousses,
tantôt vieillard solitaire,
il les contient ou les libère.
Le vent dispose.
Le vent disperse.
Il nous traverse.
*
Puisque la pluie a désormais son hymne,
et parce que je ne voudrais pas faire de jaloux,
je me propose de vous déposer au creux de l’oreille
cette déclaration au vent du Nord,
signée Alfred Desrochers :
Ô monstre de l’azur farouche, dont les râles
Nous émeuvent autant que, dans les cathédrales,
Le cri d’une trompette aux Élévations ;
(...)
Je chanterai ton cœur que nul ne veut comprendre.
(...)
Ta force immarcescible ignore les traîtrises :
Tu n’as pas la langueur énervante des brises
Qui nous viennent, avec la fièvre, d’Orient,
Et qui nous voient mourir par elle, en souriant ;
Tu n’es pas le cyclone énorme des Tropiques,
Qui mêle à l’eau des puits des vagues d’Atlantiques,
Et dont le souffle rauque est issu des volcans ;
Comme le sirocco, ce bâtard d’ouragans,
Qui vient on ne sait d’où, qui se perd dans l’espace,
Tu n’ensanglantes pas les abords de ta trace ;
Tu n’as jamais besoin, comme le vent d’été,
De sentir le tonnerre en laisse à ton côté,
Pour aboyer la foudre, en clamant ta venue.
Ô vent épique, peintre inouï de la nue,
Lorsque tu dois venir, tu jettes sur les cieux,
Au-dessus des sommets du nord vertigineux,
Le signe avant-coureur de ton âme loyale :
Un éblouissement d’aurore boréale.
***
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[Le premier extrait cité dans cette chronique vient du poème « Toujours l’ailleurs » d’Alexandre Amprimoz, tiré de Conseils aux suicidés, paru en 1983. Il est suivi d’un extrait de Jeux de mains de François-Xavier Eygun, paru en 1991, puis d’un extrait du poème « Patience », tiré du recueil Persévérance de Michel Dachy, paru en 1984, et enfin d’un extrait du poème « Aujourd’hui le printemps » de Joséphine Bacon, paru en 2018 dans le recueil Uiesh. La chronique se conclut sur une mention tirée de Terraqué d’Eugène Guillevic, paru en 1942, et enfin sur un (long) extrait du poème « Hymne au vent du Nord », signé Alfred Desrochers, tiré du recueil À l’ombre de l’Orford, paru en 1948.]